2

 

L’esprit de Lucien était concentré sur une unique pensée : Anya.

Un brouillard noir et épais s’était abattu sur lui et l’empêchait de réfléchir, mais il conservait tout de même le souvenir du corps d’Anya, si doux contre le sien. Durant le trop court instant durant lequel il l’avait tenue dans ses bras, il aurait été prêt à trahir ses compagnons pour quelques secondes supplémentaires avec elle.

Jamais un baiser ne l’avait à ce point troublé. Son démon en avait ronronné de plaisir. Comme un chat apprivoisé. Cela ne s’était jamais produit auparavant.

Quelque chose clochait manifestement chez lui, en ce moment.

Quand il avait prétendu n’accorder aucune importance à Anya, ces mots lui avaient transpercé le cœur. Mais il ne regrettait pas de les avoir dits. Il le fallait. Dans leur intérêt à tous deux. Il sentait qu’elle le mettait en danger. Elle compromettait son calme légendaire.

Son calme légendaire… Il en aurait ri s’il avait été capable de bouger. Avec cette femme, il perdait tous ses moyens. Il n’était plus du tout calme.

Pourquoi feignait-elle de le désirer ? Pourquoi l’avait-elle embrassé comme si sa vie en dépendait ? Il n’avait pas l’habitude que les femelles se jettent à son cou. Plus maintenant. Pourtant, Anya avait réclamé un baiser. Et plus encore.

Et à présent son image l’obsédait. Elle était plutôt grande, mais pas trop – la taille idéale pour lui –, avec un visage allongé de madone absolument parfait, une peau irréprochable, bronzée, lisse, lumineuse. Une peau que l’on avait envie de goûter.

Sa poitrine débordait largement de son petit corset bleu sombre. Sa minijupe noire et ses bottes noires à talons hauts mettaient ses cuisses en valeur.

Ses cheveux bouclés et presque blancs retombaient en cascade dans son dos. Chaque fois qu’il les regardait, il pensait à une tempête de neige. Elle avait de grands yeux, du même bleu que son corset. Un petit nez retroussé. Des lèvres pleines et rouges faites pour le baiser. Des dents blanches et bien alignées. Tout, en elle, évoquait la sensualité, le plaisir, le désir.

Depuis ce fameux jour où elle avait fait irruption dans leur vie pour sauver Ashlyn, elle n’avait cessé de le suivre. Elle ne s’était pas montrée, il ne l’avait pas vue, mais il avait été envoûté par cette odeur de fraises à la crème qui traînait dans son sillage.

Et maintenant qu’il l’avait embrassée, chaque fois qu’il songeait à elle, son cœur battait dans sa poitrine. L’air qu’il respirait lui paraissait brûlant, il entrait en transe. Il comprenait à présent ce que ressentaient Maddox et Ashlyn qui ne cessaient de roucouler, blottis l’un contre l’autre, comme s’ils avaient peur de se perdre.

Le brouillard qui encombrait son esprit se dissipa brusquement, et il reprit conscience du monde autour de lui. Anya avait disparu, mais pas ses compagnons, qui l’entouraient toujours, figés comme des statues. Il fronça les sourcils et porta la main à l’un des poignards attachés dans son dos.

— Reyes ?

Reyes ne répondit pas, pas même par un clignement d’yeux.

— Gideon ? Paris ?

Rien.

Quelque chose remua dans l’ombre. Au moment où il tira lentement le poignard de son fourreau, prêt à réagir, il songea vaguement qu’Anya aurait pu lui prendre aisément ses armes et les utiliser contre lui, quelques instants plus tôt, pendant qu’il était occupé à l’embrasser. Mais elle ne les avait pas prises, et cela prouvait qu’elle n’avait pas eu l’intention de lui faire du mal.

De nouveau, il se demanda pourquoi elle l’avait approché.

— Salut, la Mort, fit une voix d’homme basse et profonde.

Il ne vit rien ni personne, mais une force invisible lui arracha le poignard et le jeta à terre.

— Sais-tu qui je suis ?

Lucien demeura impassible, mais une peur glacée se mit à couler dans ses veines, dévastant tout sur son chemin. Il n’avait jamais entendu cette voix, mais il devina aussitôt à qui elle appartenait.

— Seigneur Titan, murmura-t-il.

Un mois plus tôt, les Titans avaient convoqué Aeron, gardien de la Colère, pour lui ordonner de tuer quatre femelles humaines. Aeron n’avait pu se résoudre à exécuter cet ordre et il s’était transformé en un monstre assoiffé de sang. Ils avaient dû l’enfermer dans le donjon de leur château pour le protéger de lui-même. Lucien supportait mal de voir son ami dans cet état, mais il ne pouvait rien faire pour lui.

Et il en voulait terriblement aux Titans, cause de leur malheur.

— Qu’est-ce qui me vaut l’honneur de votre visite ? demanda-t-il.

Fluide comme de l’eau, Cronos avança dans un rayon de lune pour se montrer. L’épaisse chevelure qui auréolait son visage était aussi blanche que sa longue barbe. Son corps élancé était drapé dans une tunique d’un lin tellement fin qu’il ressemblait à de la soie. Il avait des yeux noirs, immenses, comme deux lacs aux profondeurs insondables. Sa main gauche tenait une faux, celle de la Mort, un attribut possédant le pouvoir de trancher d’un seul coup la tête d’un immortel, et que Lucien aurait bien voulu utiliser contre lui. Elle aurait dû d’ailleurs lui revenir, mais elle avait disparu. Il savait maintenant qui la lui avait prise.

— Je n’aime pas le ton que tu emploies pour t’adresser à moi, répondit enfin la divinité, d’une voix trop calme qui montrait qu’elle était sur le point d’exploser.

— Toutes mes excuses, murmura Lucien.

Cronos était un vieillard à l’allure fragile, mais Lucien n’était pas dupe de cette apparence. Cronos s’était enfui de Tartarus et il avait renversé le puissant Zeus. Mieux valait ne pas le compter parmi ses ennemis.

— Tu as rencontré l’indomptable Anya, reprit le dieu.

Il n’avait pas élevé la voix, mais ses paroles traversèrent la nuit avec une telle puissance que Lucien eut la sensation qu’elles auraient pu renverser une armée. Sa peur s’intensifia.

— Oui. Je l’ai rencontrée.

— Tu l’as embrassée.

Lucien serra les poings, grisé de nouveau par le souvenir de leur baiser, et furieux que cet instant magique ait été épié par le Titan.

Reste calme.

— Oui.

Cronos avança vers lui en planant, aussi silencieux que la nuit.

— Cela fait des semaines que je la pourchasse en vain. Apparemment, elle tenait à faire ta connaissance. Pourquoi, d’après toi ?

— Je n’en ai pas la moindre idée, vraiment…

C’était la vérité. Il ne comprenait toujours pas pourquoi elle s’était intéressée à lui. Tout ce qu’il savait, c’était qu’elle avait réussi à l’embraser, corps et âme, démon compris.

— Peu importe, répondit le dieu qui l’avait maintenant rejoint et s’arrêta pour le fixer droit dans les yeux.

Lucien fut subjugué par la force de son pouvoir.

— À présent, tu vas la tuer.

La Mort réagit aussitôt en secouant les barreaux de sa cage et, pour la première fois, Lucien se demanda si c’était d’impatience ou de colère.

— La tuer ?

— Tu as l’air surpris, commenta tranquillement le dieu tout en s’éloignant, comme s’il considérait leur conversation comme terminée.

Il l’effleura en passant à sa hauteur, à peine, mais Lucien fut violemment projeté en arrière et tomba à la renverse, haletant. Il se releva aussitôt et fit volte-face en tentant de reprendre son souffle, mais Cronos était déjà sur le point de disparaître dans la nuit.

— S’il vous plaît ! appela Lucien. Pourrais-je au moins savoir pourquoi vous exigez sa mort ?

— Elle est la déesse de l’Anarchie et sème le trouble partout où elle passe, répondit le dieu sans même se retourner. C’est une raison suffisante, et tu devrais me remercier de t’avoir choisi pour cette noble tâche.

Le remercier ? Lucien serra les dents pour retenir les mots qui lui brûlaient la langue. De nouveau, il eut envie de décapiter cet insupportable vieillard. Mais il ne bougea pas. Il savait jusqu’où pouvait aller la cruauté des dieux quand on s’opposait à eux. Il venait tout juste d’être délivré de la malédiction que les Grecs avaient infligée à Maddox pour le punir d’avoir frappé Pandore de son épée. Pendant des siècles, Lucien avait emporté son âme en enfer… Chaque nuit… Les Titans étaient encore plus cruels que les dieux grecs. S’en prendre à leur roi revenait à s’attirer la pire des malédictions.

Pourtant, il ne put s’empêcher de protester.

— Je n’ai pas envie de me charger de l’âme d’Anya, dit-il.

Je ne la tuerai pas.

Il n’avait pas vu bouger Cronos, mais celui-ci fut brusquement tout près de lui, de nouveau.

Le regard brillant de ses yeux immenses le transperça comme une épée, tandis qu’il allongeait au-dessus de Reyes le bras qui tenait la faux.

— Même si ça doit te prendre l’éternité, et quoi que tu doives accomplir pour cela, rapporte-moi son corps, tonna-t-il. Ou ceux que tu aimes en pâtiront.

Puis il disparut dans une lumière bleue aveuglante, aussi vite qu’il était venu. Le monde se remit en mouvement comme s’il ne s’était jamais arrêté. Lucien frémit : Reyes l’avait échappé belle. D’un seul mouvement de poignet, Cronos aurait pu lui arracher la tête.

— Qu’est-ce qui se passe ? grommela Reyes en se secouant. Où est passée Anya ?

— Elle était là, renchérit Paris en tournant en rond, la main sur le manche de son poignard. Juste là.

Ou ceux que tu aimes en pâtiront, avait dit Cronos.

Il ne s’agissait probablement pas d’une menace en l’air, et Lucien la prit très au sérieux. Il serra les poings et ravala la bile qui lui montait à la gorge.

— Entrons à l’intérieur et profitons de la fête, parvint-il à articuler.

Il avait besoin de réfléchir.

— Hé ! attends une seconde ! protesta Paris.

— Non, répondit fermement Lucien. Je ne veux plus parler de cet épisode.

Ils le fixèrent quelques instants, puis acquiescèrent et le suivirent en silence. À l’intérieur, ils se séparèrent, mais, quand Reyes voulut s’éloigner, Lucien le retint et lui désigna du menton une table dans le fond, celle qu’il avait occupée quelques instants plus tôt. Reyes fit signe qu’il avait compris et lui emboîta le pas.

— Je t’écoute, dit-il quand ils s’installèrent, tout en prenant un air dégagé, comme s’ils discutaient des prévisions météo.

— Tu as fait des recherches au sujet d’Anya, n’est-ce pas ? demanda Lucien. Qui a-t-elle tué et pourquoi ?

Le rythme effréné de la musique tranchait singulièrement avec le sérieux de leur conversation. La lumière dansait sur la peau couleur bronze de Reyes et dans ses yeux aussi noirs que la nuit. Il haussa les épaules.

— Les manuscrits mentionnaient le nom de l’homme, Aias, mais pas les raisons pour lesquelles elle l’a tué, répondit-il.

— Aias… Je me souviens de lui.

Un prétentieux que Lucien n’avait jamais apprécié.

— Il l’avait sûrement mérité, commenta-t-il.

— Il était le capitaine des gardes des dieux. Je suppose qu’Anya avait provoqué une catastrophe et qu’Aias était chargé de l’arrêter. Ils se sont battus et elle l’a tué.

Lucien battit des paupières. Aias, cet arrogant égocentrique, avait été nommé capitaine de la Garde après lui ? Avant d’ouvrir la boîte de Pandore, Lucien avait rempli la noble fonction de gardien de la paix et protecteur du roi des dieux. Mais quand la Mort était entrée en lui, on lui avait retiré cette charge. Ensuite, il avait été banni de l’Olympe, avec ceux qui l’avaient aidé.

— Anya a sans doute l’intention de te faire subir le même sort qu’à Aias, marmonna Reyes d’un ton désinvolte.

Il n’avait peut-être pas tort ; pourtant, Anya aurait pu l’attaquer, ce soir, et elle n’avait rien tenté.

— Qu’as-tu appris d’autre au sujet d’Anya ? demanda-t-il à Reyes.

Reyes haussa les épaules.

— Comme je l’ai dit tout à l’heure, elle est la fille unique de Dysnomia.

— Dysnomia ? répéta Lucien en se caressant distraitement la mâchoire du bout des doigts. Ce nom ne me dit rien.

— C’est une déesse secondaire et elle n’est pas très appréciée des dieux grecs. Elle couche avec tous les hommes qu’elle rencontre, qu’ils soient mariés ou pas. Personne ne sait qui est le père d’Anya.

— On doit bien en avoir une petite idée, tout de même…

— Impossible. Dysnomia a plusieurs amants par jour.

L’idée qu’Anya suivait peut-être l’exemple de sa mère en collectionnant les amants fit frémir Lucien de rage. Il aurait préféré ne pas la désirer, mais il la désirait et n’y pouvait rien. Il avait pourtant tenté de résister. Il ne voulait pas avoir à emporter un jour son âme. Puis il s’était dit qu’elle était immortelle et que…

Quel idiot ! Il savait bien que la Mort n’épargnait personne, pas même ceux qu’on appelait les immortels. Elle pouvait s’abattre sur n’importe qui. Sur lui. Sur ses compagnons. Sur une déesse. Il voyait disparaître plus de gens en une seule journée que certains au cours de toute une vie.

— En tout cas, cette Anya a un visage d’ange, reprit Reyes. Elle cache bien son jeu. On ne soupçonnerait jamais qu’on a affaire à une perverse.

On voyait qu’il n’avait pas embrassé Anya et qu’il ignorait à quel point ses baisers étaient délicieusement pervers. Lucien, lui, le savait. Pourtant, la femme qu’il avait serrée dans ses bras ne lui avait pas paru dangereuse ou mauvaise. Douce. Ça, oui… Surprenante. Hors normes. Vulnérable. Et emplie de désir pour lui.

De nouveau, il se demanda pourquoi elle l’avait embrassé. Cette question, à laquelle il ne trouvait pas de réponse satisfaisante, le tracassait. Pourquoi avait-elle dansé pour lui ? Avec lui ? Avait-elle vraiment espéré obtenir de lui quelque chose de précis ? Et quoi ? Avait-elle simplement voulu s’amuser en donnant de l’espoir à un homme repoussant, avec l’intention de l’abandonner ensuite en se moquant de sa crédulité ?

Le sang de Lucien se glaça dans ses veines. Cesse de te torturer avec de telles pensées. Mais à quoi avait-il donc le droit de penser ? À la mort d’Anya ? Il n’était pas certain d’avoir la force d’obéir à l’ordre de Cronos.

Anya l’avait aidé en le débarrassant d’une terrible malédiction et il avait une dette envers elle. Comment pouvait-il tuer une femme à laquelle il devait quelque chose ? Une femme qui embrassait si bien, de surcroît. Il serra les poings et tenta de résister à la vague de détresse qui le submergeait.

— C’est tout ce que tu sais d’elle ? insista-t-il auprès de Reyes.

Reyes haussa une fois de plus les épaules d’un air indifférent.

— Je crois qu’elle est aussi sous le coup d’une malédiction, mais j’ignore laquelle.

Une malédiction ? Le cœur de Lucien se serra. Il se demanda si Anya souffrait. Puis il s’en voulut. Qu’est-ce que cela pouvait lui faire ?

— Et sais-tu qui a fait peser sur elle cette malédiction ?

— Artémis, la déesse de la Justice, je crois. Artémis est une Titanide. Elle a trahi les dieux grecs pour aider les Titans à prendre possession de l’Olympe.

Lucien avait rencontré Artémis, mais il ne s’en souvenait que vaguement. Il revit sa silhouette mince et élancée, ses cheveux noirs, son visage aux traits aristocratiques, ses longues mains fines qui voletaient quand elle parlait. Elle était plutôt avenante, mais se montrait inflexible quand il s’agissait de juger une action.

— Que sais-tu d’autre, au sujet d’Artémis ? demanda-t-il à Reyes.

— Elle est la femme de Tartarus, le gardien de la prison des dieux.

Lucien fronça les sourcils.

— C’est peut-être elle qui a maudit Anya, pour avoir rendu Tartarus amnésique.

Reyes secoua la tête.

— Non. D’après le parchemin que j’ai consulté, la malédiction d’Anya était antérieure à son emprisonnement.

Il fit claquer sa langue.

— À mon avis, Anya est comme sa mère. Elle a dû coucher avec Tartarus, ce qui a mis la déesse en colère. Une femme ne peut que maudire celle qui a dévoyé son mari.

Lucien n’apprécia pas du tout la suggestion. Il caressa nerveusement ses cicatrices. Elles étaient si rugueuses qu’elles lui râpèrent les doigts. Il se demanda soudain si Anya aussi les avait trouvées rugueuses et rougit. Elle avait probablement l’habitude de côtoyer de beaux guerriers et se souviendrait de lui comme de l’affreux à la peau de crocodile.

Reyes caressa d’un doigt le rebord d’un verre vide.

— Je n’aime pas beaucoup l’idée que nous lui devons un service, dit-il. Et ça ne me plaît pas non plus qu’elle soit venue ici ce soir. Partout où elle passe, Anya laisse derrière elle le chaos et la désolation.

— Nous aussi, fit remarquer Lucien.

— Autrefois, corrigea Reyes. Et en plus, nous n’en retirions aucun plaisir. Tandis qu’elle, elle s’amuse. Elle souriait d’aise tout en se tortillant devant toi pour t’émoustiller. Tu crois que je ne l’avais pas remarqué ? Et j’ai aussi remarqué que tu n’étais pas indifférent à son charme. Tu la regardais comme je regardais Danika.

Danika était l’une des femmes qu’Aeron était censé éliminer. Reyes tenait à elle plus qu’à la vie, mais il l’avait tout de même laissée partir, dans l’espoir de la soustraire à la colère des dieux. À présent, il avait l’air de le regretter. Sans doute pensait-il qu’il l’aurait mieux protégée en la gardant près de lui.

— Que vais-je faire ? soupira Lucien.

Il aurait voulu oublier Anya et ignorer l’ordre de Cronos, mais défier le roi des dieux revenait à s’exposer à une dure punition qui engloberait probablement ses compagnons. Et ses compagnons avaient été suffisamment punis ainsi. Ils étaient à bout, ils marchaient déjà sur la ligne de frontière séparant le bien et le mal. Il suffisait de peu pour qu’ils cessent de lutter contre leurs démons et donnent libre cours à leurs instincts meurtriers.

Il soupira. Les dieux ne les avaient pas épargnés.

Autrefois, lui et ses compagnons étaient descendus de l’Olympe pour ouvrit la boîte de Pandore, répandant sur la terre la destruction et la mort, la douleur, la misère. Ensuite, possédés par des démons qu’ils n’avaient pas encore appris à contrôler, ils avaient tué sans discernement, détruisant des maisons et des familles, semant sur leur passage la famine et la maladie.

Quand ils avaient enfin appris à maîtriser les instincts des entités qu’ils abritaient, il était trop tard : une ligue de chasseurs s’était constituée pour éliminer les guerriers immortels ennemis des humains. Ces chasseurs avaient tué Baden, gardien de la Méfiance, l’un de leurs compagnons – une perte qui avait profondément affecté Lucien.

Ils avaient voulu venger Baden, et la lutte entre guerriers et chasseurs avait redoublé. Ensuite, lassé de toutes ces tueries, Lucien avait recherché la paix. Cinq immortels l’avaient suivi, six autres avaient décidé de rester et de se battre.

Lucien et son groupe avaient vécu de longs siècles dans un château près de Budapest, loin du monde, en paix – autant que le permettaient leurs démons. Mais des chasseurs les avaient retrouvés, et ils savaient à présent qu’il n’y aurait pas de paix pour eux tant qu’il resterait un chasseur sur cette terre.

Les chasseurs cherchaient à s’approprier la boîte de Pandore pour y attirer les démons et détruire les Seigneurs de l’ombre. Ils devaient la trouver avant eux.

Lucien se sentait responsable du sort de ses camarades.

S’il n’avait pas eu l’idée d’ouvrir la boîte de Pandore pour venger son orgueil bafoué, jamais on ne les aurait obligés à devenir les gardiens des démons qu’ils avaient libérés. Leurs existences n’auraient pas été détruites, ils seraient encore l’élite des guerriers des dieux grecs. Ils seraient encore joyeux, insouciants, heureux.

Il soupira un peu plus fort que la première fois, et décida, non sans une pointe de regret, qu’il devait tuer Anya pour protéger ses compagnons. Mais pour la tuer, il lui faudrait la rechercher. Et l’approcher de nouveau. La revoir.

L’idée de se retrouver en présence d’Anya, Anya à la délicieuse odeur de fraises à la crème, Anya à la peau douce, le tentait autant qu’elle l’effrayait. Il était déjà tombé amoureux autrefois. Une fois. Une seule. D’une mortelle nommée Mariah, il y avait bien longtemps, mais jamais elle ne lui avait inspiré le désir dévorant que lui inspirait la belle Anya.

Douce et innocente Mariah… Il lui avait donné son cœur, un peu trop vite, quand il venait tout juste d’apprendre à contrôler son démon. Il n’était alors sur la terre que depuis cent ans – ou bien était-ce deux cents ? Avant Mariah, rien n’avait de sens. Quand elle était entrée dans sa vie, le temps avait pris de l’importance, il avait eu soif de lumière et de beauté, il avait ressenti le besoin d’échapper aux ténèbres.

Mariah avait été son soleil de minuit, sa lumière. Il avait rêvé de passer l’éternité à la vénérer. Puis elle était tombée malade. Mais quand son heure était venue, Lucien avait d’abord refusé de se charger de son âme.

La maladie avait donc eu le temps de la ravager à petit feu. Plus il attendait, dans l’espoir fou qu’elle guérisse, et plus elle souffrait. Elle avait fini par pleurer, par supplier, par implorer la Mort de mettre fin à son agonie. Désespéré, Lucien avait dû se résoudre à accomplir son devoir, en sachant qu’il ne la reverrait plus jamais.

C’était cette nuit-là, la nuit où il avait emporté Mariah, qu’il avait gagné ses cicatrices.

Il s’était entaillé la peau avec une lame enduite de poison. Encore et encore. Recommençant chaque fois que les plaies se refermaient, pour rester défiguré, pour qu’aucune femme ne pose plus les yeux sur lui, pour ne plus jamais avoir à souffrir de la perte d’un être aimé.

Aujourd’hui, pour la première fois, il regrettait son geste. Jamais Anya n’aimerait un homme comme lui. Une femme aussi belle méritait un homme au physique irréprochable. Il fronça les sourcils. Qu’est-ce qui lui prenait de divaguer ainsi ? Anya était destinée à mourir. Entre eux, le désir et les sentiments ne pouvaient que compliquer une situation déjà difficile.

Une fois de plus, l’image d’Anya s’insinua dans son esprit, insistante. Son visage resplendissait de sensualité et son corps était une invitation au plaisir. En tant qu’homme, il bouillait de rage à l’idée de devoir détruire une telle perfection. En tant qu’immortel aussi.

Et s’il tentait de convaincre Cronos de revenir sur son ordre ? S’il… Il ricana. Non. Il n’avait aucune chance. Tenter de marchander avec Cronos était encore plus fou que de l’ignorer. Discuter avec lui ne ferait qu’exciter son courroux.

Mais bon sang ! Qu’avait-elle fait pour que Cronos réclame sa tête ?

Avait-elle repoussé ses avances ?

Lucien tenta d’ignorer la brume rouge qui lui obscurcissait soudain la vue.

Elle est à moi ! hurla une voix à l’intérieur de lui.

— J’attends, intervint Reyes en interrompant ses pensées.

Il battit des paupières et fit un effort pour revenir au présent.

— Tu attends quoi ?

— Que tu me dises ce qui s’est passé dehors.

— Rien du tout, mentit-il, tout en s’en voulant de cette trahison.

Reyes secoua la tête.

— Tu as encore les lèvres humides et enflées des baisers de cette créature. Tes cheveux sont en bataille, parce qu’elle les a décoiffés. Tu t’es interposé quand nous avons voulu intervenir, et ensuite, elle a disparu. Et tu voudrais me faire croire qu’il ne s’est rien passé ? Il va falloir te montrer plus convaincant !

Reyes avait son propre fardeau à porter ; Lucien ne voulut pas lui imposer le sien.

— Je ne pars pas avec vous, dit-il. Je te charge d’expliquer aux autres que je vous rejoindrai en Grèce.

Reyes fronça les sourcils.

— Et pourquoi donc ?

— On m’a donné l’ordre de tuer.

— De tuer ? Pas seulement d’escorter une âme en enfer ou au paradis ? Je ne comprends pas.

Lucien acquiesça.

— Il n’est pas nécessaire que tu comprennes.

— Je déteste quand tu prends ce ton énigmatique. Dis-moi tout.

— Quelle importance ? Une âme est une âme, peu importe pourquoi on l’emporte et qui. La mort est la mort.

Lucien tapota gentiment l’épaule de Reyes et se leva. Puis il sortit d’un pas décidé, sans se retourner, pour rejoindre l’endroit précis où il avait embrassé Anya quelques minutes plus tôt.

Il entendait encore ses gémissements, il sentait presque ses ongles s’enfoncer dans son dos et ses hanches qui roulaient contre son sexe dressé.

Mais il s’efforça d’ignorer son désir et ferma l’œil droit. En scrutant les alentours avec son œil gauche, le bleu, l’œil spirituel, il distingua un arc-en-ciel de couleur, la trace des émotions de ceux qui s’étaient arrêtés ici.

Il s’était souvent prêté à cet exercice et il put aisément faire le tri des plus récentes. Et là, contre les murs neufs et fraîchement repeints du bâtiment, il reconnut nettement des étincelles de passion.

Celles de leur baiser.

Dans le monde spirituel, les sentiments d’Anya étaient représentés par une couleur rose vif. Il sut aussitôt qu’elle n’avait pas joué la comédie, comme il l’avait cru. Cette traînée rose qui brillait d’un éclat aveuglant en témoignait. Elle l’avait donc vraiment désiré. Comment une créature aussi parfaite qu’Anya avait-elle pu s’intéresser au monstre de laideur qu’il était devenu ? Cela paraissait invraisemblable, et pourtant la preuve était là, sous ses yeux, éclatante, comme un chemin de lumière au milieu d’une tempête.

Une douce chaleur se répandit dans son ventre et sa bouche s’emplit de salive. Un étau douloureux lui comprima le cœur. Dieux, que ce serait bon de tenir encore une fois ces jolis seins dans ses mains – rien qu’une fois – et de sentir les mamelons se durcir contre ses paumes ! Glisser ses doigts dans son fourreau humide, aller et venir, doucement, puis de plus en plus vite… Lui arracher un cri de plaisir, l’entendre supplier de recommencer…

Tu dois la tuer. Ne l’oublie pas.

Il serra les poings. Comment aurait-il pu l’oublier ?

— Où te caches-tu ? murmura-t-il en suivant des yeux les étincelles qui jaillissaient de l’endroit où ils s’étaient tenus.

Il remarqua du bleu, signe de tristesse. Pourquoi cette tristesse ? Il se souvint avoir dit à ses compagnons qu’Anya ne méritait pas qu’on lui accorde de l’importance et se sentit soudain empli de culpabilité.

Un rouge intense se mêlait au bleu. La colère. Il l’avait blessée, elle lui en avait voulu. Sa culpabilité augmenta. Il l’avait malmenée parce qu’il s’était persuadé qu’elle se moquait de lui.

Mais il s’était lourdement trompé.

En affinant son analyse des couleurs d’Anya, il découvrit du blanc. La peur. Quelque chose l’avait effrayée. Avait-elle senti l’arrivée de Cronos ? L’avait-elle vu ? Savait-elle qu’il l’avait condamnée à mort ?

Lucien n’aimait pas songer qu’Anya avait peur.

Il suivit la trace du blanc, laissa l’esprit du démon envahir son corps, et se transforma en un brouillard invisible, capable de voyager dans le monde spirituel, là où le temps et l’espace n’existaient pas.

À sa grande surprise, la trace de l’être subtil d’Anya menait au château de Budapest, et plus précisément à sa chambre. Elle n’y était pas restée longtemps, mais elle y avait fait les cent pas, puis elle s’était transportée dans…

Dans la chambre d’Ashlyn et de Maddox… Lucien fronça les sourcils. Pourquoi était-elle entrée dans cette pièce ? Le couple dormait, tendrement enlacé, les joues encore rosies de ses récents ébats, il en aurait juré.

Il refoula une pointe d’envie, puis disparut pour suivre les déplacements d’Anya.

Il se trouvait à présent dans un appartement qu’il ne reconnut pas. Des rayons de lune filtraient à travers les volets sombres. Était-il toujours à Budapest ? La pièce était sommairement meublée d’un vieux canapé marron poussé contre un mur et d’une chaise à lattes en mauvais état dont le siège s’affaissait. Il remarqua l’absence de télévision et d’ordinateur.

Un son métallique, celui de deux lames qui s’entrechoquaient, le fit sursauter. Cela venait de la pièce voisine. Se sachant invisible, il avança dans la direction du bruit.

Arrivé à la porte, il étouffe un cri de surprise en reconnaissant Danika, la femme que les dieux avaient désignée à Aeron, celle dont Reyes était tombé amoureux. Elle s’entraînait à manier deux épées qu’elle plantait alternativement dans un mannequin suspendu au mur – lequel mannequin ressemblait à la fois à Reyes et à Aeron.

— Vous croyez que je vais me laisser enlever sans réagir ? murmura-t-elle.

La sueur coulait sur son front et sur sa poitrine, son débardeur gris lui collait à la peau, sa longue queue-de-cheval blonde était plaquée contre sa nuque. Il faisait très froid dans l’appartement et elle s’activait sûrement depuis plusieurs heures pour transpirer autant.

Pourquoi Anya était-elle venue espionner Danika ? Danika se cachait. Ils l’avaient laissée partir pour lui donner une chance de mener un semblant de vie normale en attendant qu’Aeron exécute l’ordre des dieux – ce qu’il ferait, sans le moindre doute. Car il finirait par s’échapper du donjon pour la tuer. Ce n’était qu’une question de temps. Ils n’avaient pu se résoudre à lui passer les chaînes indestructibles forgées par les dieux. Il viendrait donc forcément à bout de celles qui le retenaient pour le moment.

Lucien fut tenté de révéler sa présence à Danika, mais il s’en abstint. Elle n’avait pas un très bon souvenir de lui et ne l’aurait sûrement pas aidé à chercher Anya. Il caressa ses cicatrices. Il ignorait encore quel était le but poursuivi par la déesse de l’Anarchie, mais il constatait qu’elle s’intéressait de très près à tout ce qui touchait les Seigneurs de l’ombre.

Sachant qu’il ne trouverait pas les réponses qu’il cherchait, il ne s’attarda pas. Il suivit de nouveau la subtile trace colorée d’Anya, laquelle était maintenant d’un rouge soutenu – de nouveau la colère – et il se retrouva dans…

Un magasin… À en juger par la taille, il s’agissait de ce que les mortels appelaient une épicerie.

Il fronça les sourcils. Cette fois, il n’était plus dans Budapest, car le soleil brillait à travers la vitrine. Les clients défilaient à la caisse pour payer leur essence et leurs denrées alimentaires.

Toujours invisible, Lucien s’aventura à l’extérieur.

Dans la rue, une longue file de voitures jaunes roulaient à vive allure et les piétons avançaient à pas pressés sur le trottoir. Il se réfugia dans une ruelle déserte et sombre pour se matérialiser discrètement, sans être vu. Piqué par la curiosité, il entra dans le magasin qu’il venait de quitter. Une sonnette tinta quand il poussa la porte.

Une femme poussa un cri étouffé en l’apercevant, puis elle détourna la tête d’un mouvement vif. Un enfant le montra du doigt et fut réprimandé par sa mère. Ceux qui se trouvaient là s’écartèrent, le plus discrètement possible, pour éviter de le froisser. Il y avait la queue à la caisse, mais il doubla tout le monde sans prendre la peine de s’excuser et personne n’osa ouvrir la bouche pour protester.

Le caissier était un jeune homme habillé comme Gideon. Il avait des cheveux bleus, des piercings, des tatouages. Mais quand il referma négligemment le tiroir de sa caisse tout en mâchonnant un chewing-gum, Lucien jugea qu’il était nettement moins impressionnant que Gideon. Un rapide coup d’œil à l’étiquette accrochée à son T-shirt le renseigna sur son nom.

— Dennis, avez-vous vu récemment une jeune femme aux cheveux d’un blond pâle et portant une minijupe noire ?

— Avec un minuscule corset bleu électrique ? coupa Dennis. Ouais, je l’ai vue. Et remarquée.

À l’accent, Lucien déduisit qu’il se trouvait aux États-Unis.

Le jeune homme leva la tête et accusa le coup en découvrant le visage défiguré de Lucien.

— Ouais, ouais, répéta-t-il d’une voix mal assurée. Mais pourquoi me posez-vous cette question ?

Lucien fit agacé qu’un autre homme ait lorgné la belle Anya, soulagé à l’idée qu’il n’avait pas perdu sa trace, inquiet et heureux à la perspective de la revoir bientôt.

— Elle a parlé à quelqu’un ? demanda Lucien.

Le garçon recula d’un pas en secouant la tête.

— Non.

— Elle a acheté quelque chose ?

La réponse se fit attendre, comme si Dennis craignait qu’elle ne déplaise à Lucien.

— Si on peut dire, oui, marmonna-t-il vaguement.

Comme il ne donnait pas de détails, Lucien insista.

— Vous pourriez être plus précis ?

— Mais qu’est-ce que vous lui voulez ? Vous êtes son mari ? Son ex-mari ? Un flic ?

Lucien serra les dents. Du calme. Du calme. Reste calme. Il fixa intensément le pauvre garçon, qui en perdit ses couleurs. Le démon s’était réveillé et l’odeur de rose qui accompagnait sa présence commençait à devenir entêtante.

Dennis déglutit et son regard devint vitreux.

— Je vous ai posé une question, reprit doucement Lucien. Et vous allez vous contenter d’y répondre. Que vous a acheté cette femme ?

— Trois sucettes à la fraise, articula lentement Dennis comme s’il était en transe. Mais elle ne les a pas achetées. Elle les a prises et elle est sortie sans passer par la caisse. Je n’ai pas tenté de la retenir, je le jure.

— Montrez-moi ces sucettes.

Derrière Lucien, quelques mécontents marmonnèrent, mais il les fit taire d’un simple regard. Dennis quitta son poste pour le conduire jusqu’au rayon confiserie. Là, il désigna du doigt une boîte à moitié vide.

Lucien prit deux sucettes, en se retenant de les humer, même s’il en mourait d’envie. Puis il sortit des billets de sa poche. Il n’avait pas de dollars, mais c’était mieux que rien.

— Combien vous dois-je ? demanda-t-il.

— Je vous les offre, protesta Dennis en agitant la main.

Lucien l’aurait bien obligé à prendre l’argent, mais il s’était fait suffisamment remarquer ainsi, et rangea ses billets sans insister.

— Retournez à votre caisse, dit-il en faisant volte-face pour balayer le magasin du regard.

Son œil bleu détecta aussitôt des milliers de couleurs entrelacées, traces de tous ceux qui étaient passés par là. Il lui fallut quelques minutes pour repérer celle d’Anya.

Et enfin, il la vit.

Son sang se mit à bouillir.

Ce témoin de la récente présence d’Anya lui rappela à quel point elle le troublait et l’attirait.

S’il n’y prenait pas garde, il se laisserait prendre au piège. Elle était fascinante. Une énigme. Une superbe énigme.

Il quitta le magasin et retourna dans la ruelle sombre pour se dématérialiser de nouveau et poursuivre son périple.

Il trouva Anya dans un parc.

À la minute où il posa les yeux sur elle, cette douleur au creux de sa poitrine revint, enserrant son cœur dans un étau.

Anya paraissait sereine, très différente de la séductrice de la boîte de nuit. Elle était installée sur une balançoire et les rayons de soleil la baignaient d’un halo d’or. Sa tête était appuyée sur la chaîne qui retenait l’assise, et elle semblait perdue dans ses pensées. Ses soyeux cheveux d’argent retombaient en cascade sur ses bras, des mèches voletaient autour de son visage pointu de madone.

Lucien fut soudain saisi par un besoin presque irrépressible de l’envelopper dans ses bras et de la serrer contre lui. Juste de la serrer.

Jamais une femme ne lui avait paru si fragile, si esseulée. Elle léchait avec application une des sucettes qu’elle avait volées. Une langue pointue sortit pour s’enrouler autour du bonbon rose. Le ventre de Lucien tressauta. Non. Tu n’as pas le droit. Mais le désir était sourd à la raison.

Même si ça doit te prendre l’éternité, et quoi que tu doives accomplir pour cela, rapporte-moi son corps, avait dit Cronos. Ou ceux que tu aimes en pâtiront.

Lucien sentit une étincelle de colère grésiller en lui, mais il s’empressa de l’étouffer. Pas de colère. Pas d’émotions. Il était la Mort. Il n’avait pas d’autre but que la mort. Une sensiblerie déplacée n’aurait fait que retarder l’inéluctable.

Même si ça doit te prendre l’éternité.

L’espace d’un court instant, il envisagea de prendre Cronos au mot. L’éternité, oui, pourquoi pas… Tu sais ce qui arrive quand tu hésites à accomplir ton devoir. Ceux qui doivent mourir affrontent une terrible agonie.

Cette pensée le décida. Il se matérialisa et fit un pas en avant. Le gravier crissa sous ses bottes, Anya leva la tête. Leurs regards se rencontrèrent. Ses yeux cristallins s’agrandirent et le fixèrent avec tant d’intensité et de désir qu’il se sentit brûlé.

Elle se leva d’un bond, avec une expression de surprise, mêlée d’inquiétude.

— Lucien…

La douceur de sa voix s’alliait à merveille avec son haleine sucrée et parfumée à la fraise. De nouveau, il eut envie d’elle et sa résolution faiblit. Sois fort. Sois fort.

Sans se douter du danger qu’elle courait, elle resta plantée face à lui, à le fixer à travers ses longs cils.

— Comment m’as-tu retrouvée ?

— Je sais toujours comment te retrouver, répondit-il d’un ton sibyllin.

Elle le balaya du regard et il eut la sensation qu’elle le déshabillait. Aucune femme n’osait plus le regarder ainsi. Plus maintenant. Mais elle… Il avait de plus en plus de mal à rester à distance. À se contrôler. Plus les secondes passaient, plus il la désirait. À en avoir mal au ventre.

— Tu es venu pour terminer ce que nous avions commencé, mon chou, c’est ça ? murmura-t-elle d’un ton avide.

— Non, répondit-il d’une voix morne.

Tu n’as pas le choix. Tu dois accomplir la tâche qu’on t’a confiée.

Ses jolies lèvres rouges de déesse esquissèrent une moue.

— Dans ce cas, pourquoi… ?

Elle se déhancha et croisa les bras.

— Tu ne t’es tout de même pas déplacé pour m’insulter, j’espère ? Parce que je n’ai pas l’intention de tolérer une fois de plus ton insolence.

— Non, Anya. Je suis simplement venu te tuer.

La rose des ténèbres
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